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Par Aziz Boucetta
En face de lui, sur la berge d’en face, s’élance hardiment vers le ciel une tour pas encore achevée elle aussi, mais elle le sera, et plutôt rapidement. Du haut de ses 250 mètres, elle domine Rabat (et Salé), et tout ce qui la borde. Tout ? Tout, puisque les Marocains aiment à dire que l’objet sera le plus haut édifice d’Afrique avant que, hélas, il ne devienne le second, le maréchal égyptien al-Sissi l’ayant pris de vitesse et de hauteur avec sa tour iconique, dans sa nouvelle capitale.
La première tour rbatie, la Tour Hassan, est classique, avec ses ornements arabo-andalous. Formes simples, esplanade vaste, l’ensemble sobre. La seconde est résolument moderne, une forme évoquant vaguement une fusée sur son pas de tir, longue, fine et haute, silhouette futuriste, afro-futuriste comme on aime à dire. La construction de la première a commencé en 1196 et fut abandonnée trois ans plus tard, celle de la seconde est presque achevée … neuf siècles au long desquels le Maroc a vogué, tangué, balancé, combattu, s’est allongé puis comprimé, a été attaqué et s’est défendu, a changé de dynasties et de capitales, de réputation et d’influence. Parfois en bien et… parfois non.
Et les voilà, toutes deux, qui parlent… à presque un millier d’années d’intervalle durant lequel la Tour Hassan a hiberné, éphémèrement réveillée en sursaut par le bruit de l’effondrement de son dôme lors du séisme de 1755 qui a frappé Lisbonne et dont l’onde de choc s’est propagée jusqu’à Rabat.
- Qui es-tu, toi, qui vient me cacher mon soleil ?, interroge, soupçonneuse et méfiante, la Tour Hassan.
- Je suis la force, je suis l'opulence et la puissance, je suis moi, la Tour Mohammed VI, rétorque ladite avec morgue, ajoutant : « Je suis le Maroc qui monte, sans complexe, vers les cieux ! ».
- Toi, tu es nouvelle, moi, je suis éternelle…, répond paisiblement la Tour Hassan.
- Oui, je suis nouvelle, oui, je suis toute jeune, mais moi, je suis aboutie et finie !
- Et moi, j’ai vu des empires se faire et se défaire, et deux rois sont enterrés à mes pieds, rétorque la Tour Hassan, mais…
- Mais… ?, répond la Tour Mohammed VI, méfiante, la garde encore haute.
- … Mais je t’accepte dans mon environnement », tranche l’autre. J’ai constaté des changements dans cette ville de Ribat el Fath depuis quelques années, bien plus qu’en plusieurs siècles. Et dis-moi, qu’est-ce que ce sabot que tu portes au pied ?
- Ce n’est pas un sabot, c’est un théâtre, tu sais, là où comme chez les Grecs, on joue des pièces et des comédies… Et il est loin, tu as juste l’impression qu’il est au-dessous de moi. C’est ce qu’on appelle de nos jours une illusion d’optique, mais tu ne peux pas savoir ce que c’est, ajoute la Tour Mohammed VI avec une pointe de perfidie toute juvénile.
- Ah, je vois, oui… et ce serpent qui ondule aussi à ton pied, avec une certaine grâce je l’avoue, qu’est-ce donc ?
- C’est encore plus compliqué, c’est un train…
- Un train ?
- Oui, comment t’expliquer… Imagine que tu accroches plusieurs chariots les uns aux autres et que tu les fasses tirer par des bêtes… et bien cela ressemblera à un train, et cela sert à transporter bêtes, marchandises et animaux. Tu en as des choses à apprendre, fille du 12ème siècle…
- Oh sais-tu, à mon âge, j’en ai vu passer des choses et des événements qui font que tu as pu être là, toi… mais dis-moi, comment ça se passe autour, on est toujours un fort militaire ici, à Rabat ?
- Non, aujourd’hui, Rabat est la capitale du royaume du Maroc…
- De mon temps, c’était Marrakech, mais à ce que je vois, les choses ont bien changé depuis cette époque-là, quand Rabat était le point de regroupement et de départ des troupes allant guerroyer contre les Infidèles en terre andalouse…
- Oui, c’était le bon temps où nous autres Marocains avions les moyens de notre mobilité, et où nous allions quand et comme nous le voulions dans ce qu’on appelle maintenant Europe … enfin, je me comprends…, soupire la Tour Mohammed VI.
- Non, non, explique-moi, insiste la Tour Hassan.
- Bon, je vais essayer… ». Comment raconter mille ans d’histoire à cette vénérable dame qui a vu un Maroc impérial, un Maroc puissant et craint, conquérant et intrépide ? La Tour Mohammed VI se lança… « Chère sœur, toi tu as connu les Almoravides, puis les Almohades qui t’ont construite. Mais après, il y a eu plusieurs autres dynasties au Maroc. L’empire a connu des guerres et bien des misères, des triomphes et de rudes revers, autant de bonheur que de malheurs. Nous avons quitté l’Andalousie à la fin du 15ème siècle mais nous nous sommes étendus ailleurs. Pendant les 6 ou 7 siècles suivant ta naissance, nous autres Marocains (c’est notre nom actuel) comptions sur l’échiquier que nous appellerions aujourd’hui géopolitique, mais encore une fois, tu ne comprendras pas…
- En effet, ce sont des notions étrangères pour moi, mais j’essaie de saisir ce que tu me dis ; on a reculé… Et aujourd’hui, où en sommes-nous ?
- Aujourd’hui, le monde est complexe ; d’autres continents ont été découverts, la science et la connaissance (al-îlm) ont beaucoup avancé. Ce que tu vois bouger à tes pieds, ce sont des voitures, qui servent à transporter des gens, qu’on appelle aujourd’hui citoyens, et des biens. Si tu lèves le regard au ciel, tu apercevras des engins qu’on appelle avions, et ils servent aussi à transporter des gens et des marchandises, parfois aussi à faire la guerre… » La Tour Hassan, exaltée, interrompt son interlocutrice :
- Donc nous sommes toujours les maîtres du monde, ou au moins des grands de ce monde ?
- Non… non, non, pas du tout, nous sommes loin derrière ». La Tour Hassan toussota tristement quelques pierres, ne comprenant visiblement pas comment une nation qui fut jadis en pointe se trouve aujourd’hui dans le creux. La Tour Mohammed VI poursuit : « Depuis l’arrivée de la France, fin 19ème début 20ème, notre histoire a été brutalement secouée, notre évolution sociale durement...perturbée et notre indépendance perdue, et… ».
La première tour rbatie, la Tour Hassan, est classique, avec ses ornements arabo-andalous. Formes simples, esplanade vaste, l’ensemble sobre. La seconde est résolument moderne, une forme évoquant vaguement une fusée sur son pas de tir, longue, fine et haute, silhouette futuriste, afro-futuriste comme on aime à dire. La construction de la première a commencé en 1196 et fut abandonnée trois ans plus tard, celle de la seconde est presque achevée … neuf siècles au long desquels le Maroc a vogué, tangué, balancé, combattu, s’est allongé puis comprimé, a été attaqué et s’est défendu, a changé de dynasties et de capitales, de réputation et d’influence. Parfois en bien et… parfois non.
Et les voilà, toutes deux, qui parlent… à presque un millier d’années d’intervalle durant lequel la Tour Hassan a hiberné, éphémèrement réveillée en sursaut par le bruit de l’effondrement de son dôme lors du séisme de 1755 qui a frappé Lisbonne et dont l’onde de choc s’est propagée jusqu’à Rabat.
- Qui es-tu, toi, qui vient me cacher mon soleil ?, interroge, soupçonneuse et méfiante, la Tour Hassan.
- Je suis la force, je suis l'opulence et la puissance, je suis moi, la Tour Mohammed VI, rétorque ladite avec morgue, ajoutant : « Je suis le Maroc qui monte, sans complexe, vers les cieux ! ».
- Toi, tu es nouvelle, moi, je suis éternelle…, répond paisiblement la Tour Hassan.
- Oui, je suis nouvelle, oui, je suis toute jeune, mais moi, je suis aboutie et finie !
- Et moi, j’ai vu des empires se faire et se défaire, et deux rois sont enterrés à mes pieds, rétorque la Tour Hassan, mais…
- Mais… ?, répond la Tour Mohammed VI, méfiante, la garde encore haute.
- … Mais je t’accepte dans mon environnement », tranche l’autre. J’ai constaté des changements dans cette ville de Ribat el Fath depuis quelques années, bien plus qu’en plusieurs siècles. Et dis-moi, qu’est-ce que ce sabot que tu portes au pied ?
- Ce n’est pas un sabot, c’est un théâtre, tu sais, là où comme chez les Grecs, on joue des pièces et des comédies… Et il est loin, tu as juste l’impression qu’il est au-dessous de moi. C’est ce qu’on appelle de nos jours une illusion d’optique, mais tu ne peux pas savoir ce que c’est, ajoute la Tour Mohammed VI avec une pointe de perfidie toute juvénile.
- Ah, je vois, oui… et ce serpent qui ondule aussi à ton pied, avec une certaine grâce je l’avoue, qu’est-ce donc ?
- C’est encore plus compliqué, c’est un train…
- Un train ?
- Oui, comment t’expliquer… Imagine que tu accroches plusieurs chariots les uns aux autres et que tu les fasses tirer par des bêtes… et bien cela ressemblera à un train, et cela sert à transporter bêtes, marchandises et animaux. Tu en as des choses à apprendre, fille du 12ème siècle…
- Oh sais-tu, à mon âge, j’en ai vu passer des choses et des événements qui font que tu as pu être là, toi… mais dis-moi, comment ça se passe autour, on est toujours un fort militaire ici, à Rabat ?
- Non, aujourd’hui, Rabat est la capitale du royaume du Maroc…
- De mon temps, c’était Marrakech, mais à ce que je vois, les choses ont bien changé depuis cette époque-là, quand Rabat était le point de regroupement et de départ des troupes allant guerroyer contre les Infidèles en terre andalouse…
- Oui, c’était le bon temps où nous autres Marocains avions les moyens de notre mobilité, et où nous allions quand et comme nous le voulions dans ce qu’on appelle maintenant Europe … enfin, je me comprends…, soupire la Tour Mohammed VI.
- Non, non, explique-moi, insiste la Tour Hassan.
- Bon, je vais essayer… ». Comment raconter mille ans d’histoire à cette vénérable dame qui a vu un Maroc impérial, un Maroc puissant et craint, conquérant et intrépide ? La Tour Mohammed VI se lança… « Chère sœur, toi tu as connu les Almoravides, puis les Almohades qui t’ont construite. Mais après, il y a eu plusieurs autres dynasties au Maroc. L’empire a connu des guerres et bien des misères, des triomphes et de rudes revers, autant de bonheur que de malheurs. Nous avons quitté l’Andalousie à la fin du 15ème siècle mais nous nous sommes étendus ailleurs. Pendant les 6 ou 7 siècles suivant ta naissance, nous autres Marocains (c’est notre nom actuel) comptions sur l’échiquier que nous appellerions aujourd’hui géopolitique, mais encore une fois, tu ne comprendras pas…
- En effet, ce sont des notions étrangères pour moi, mais j’essaie de saisir ce que tu me dis ; on a reculé… Et aujourd’hui, où en sommes-nous ?
- Aujourd’hui, le monde est complexe ; d’autres continents ont été découverts, la science et la connaissance (al-îlm) ont beaucoup avancé. Ce que tu vois bouger à tes pieds, ce sont des voitures, qui servent à transporter des gens, qu’on appelle aujourd’hui citoyens, et des biens. Si tu lèves le regard au ciel, tu apercevras des engins qu’on appelle avions, et ils servent aussi à transporter des gens et des marchandises, parfois aussi à faire la guerre… » La Tour Hassan, exaltée, interrompt son interlocutrice :
- Donc nous sommes toujours les maîtres du monde, ou au moins des grands de ce monde ?
- Non… non, non, pas du tout, nous sommes loin derrière ». La Tour Hassan toussota tristement quelques pierres, ne comprenant visiblement pas comment une nation qui fut jadis en pointe se trouve aujourd’hui dans le creux. La Tour Mohammed VI poursuit : « Depuis l’arrivée de la France, fin 19ème début 20ème, notre histoire a été brutalement secouée, notre évolution sociale durement...perturbée et notre indépendance perdue, et… ».
- « C’est quoi la France ? », interrogea la Tour Hassan.
- Ah oui, ce pays n’existait pas à ton époque, répond la Tour Mohammed VI. Il faut que je t’explique des choses… Pendant que nous autres ici, dans l’empire almohade, nous guerroyions en Afrique, l’Africa, et nous occupions l’Andalousie, au nord de cette Andalousie vivaient des peuplades encore plutôt sauvages, ignorantes, bigotes, avec un système social qui ressemblait à l’esclavage. Elles se battaient entre elles, se consacraient à leur Dieu et se massacraient perpétuellement en son nom, portant le feu, le fer et la dévastation en Terre Sainte… et j’en passe.
- Mais comment de tels sauvages sont-ils parvenus à nous soumettre et à nous dépasser ?, interroge la Tour Hassan.
- Le temps, mon amie, le temps a fait son œuvre. Quand vous, les Almohades, avez fait taire Averroès, les chrétiens ont récupéré les travaux de ce dernier et quelques siècles plus tard, ils ont donné naissance au leur, d’Averroès ; il s’appelait Luther et a permis de révolutionner les choses, permettant une plus grande instruction, l’apparition des sciences, chez nous alors considérées comme impies, et de techniques, chez nous à cette époque rejetées par nos religieux. Les infidèles ont appelé cela les Lumières, qui leur ont permis de sortir des ténèbres… les chrétiens se sont fait la guerre puis l’ont propagée partout sur la planète, et ils continuent aujourd’hui encore, mais dès les 17ème et 18ème siècles, ils ont commencé à nous dépasser, nous surclasser, puis ont entamé leur entreprise de domination. Nous avons été, nous autres Marocains, les derniers à être occupés en Afrique, et parmi les premiers à retrouver notre liberté, mais le mal était fait…
- Quel mal ?
- Nous avons été acculturés, puis affaiblis, puis largement dominés. Depuis, nous avons retrouvé des couleurs, mais nous ne pouvons même plus aller en terre chrétienne, qu’on appelle Europe, comme on veut. Il nous faut une autorisation, ils fouillent nos affaires, farfouillent dans nos intimités, ils connaissent tout de nos vies et nous rien des leurs, même si cela change aujourd’hui un peu… De nos jours, ce sont eux, les riches et les puissants, et ils l’ont été trois siècles durant, sauf que depuis quelques années, les choses ont continué de bouger et d’autres riches et puissants sont apparus. Alors l’ambiance est plutôt à l’énervement général, au sein duquel nous essayons d’exister.
- N’êtes-vous donc plus, Marocains de ce siècle, aussi craints que nous le fûmes ?
- Cette période qui était la tienne, je te l’ai dit, s’est poursuivie et prolongée pendant des siècles, où nous avons même été plus dominateurs, davantage redoutés, sollicités, vantés… mais c’est une époque qui fut et qui, aujourd’hui, est révolue.
- J’en ai les fondations qui frémissent, murmure avec tristesse la Tour Hassan.
- Je te rassure… A notre époque, il y a pire que ne pas être craint, c’est être ignoré, dans les deux sens du terme. Grâce à Dieu et à de louables efforts consentis depuis quelques dizaines d’années, nous sommes, à défaut d’être redoutés, respectés et je peux même dire que nous comptons un peu parmi les autres…
- Ne pouvez-vous mieux faire ?, s’étonne la Tour Hassan.
- Nous nous y attelons, aujourd’hui… et pour cela, tu vas le comprendre, nous recherchons la jiddiya, qui était vôtre et qui, de nos jours, s’est escamotée au bénéfice d’autres choses, explique alors la Tour Mohammed VI.
- Par exemple ?
- Des choses que tu ignores, ma chère, ou que tu as connu sous des formes moins graves… une chose que l’on appelle la corruption, une autre le népotisme, une autre encore l’incompétence. Ce sont, crois-moi des tares…
- Et maintenant ?
- Maintenant, nous essayons de faire mieux… du moins avec ceux qui restent ici.
- Comment cela… ceux qui restent ici, de qui parles-tu ?, interroge une Tour Hassan, aussi déçue du recul du pays qu’intéressée par la suite.
- Ah oui, il faut que je te dise… avec le temps, les gens se déplacent, et parfois même s’en vont dans d’autres pays. Comme je te l’ai dit, les problèmes d’incompétence, de corruption et autres, ont poussé bien des nôtres à partir dans des pays qui n’existaient même pas à ton époque et où les nôtres n’auraient de toutes les manières jamais pensé à aller…
- Par exemple, l’interrompt la Tour Hassan.
- L’Espagne, ton Andalousie… la France dont je t’ai parlé, l’Italie, ou ce qui restait de ton empire romain… et d’autres, comme les pays à côté des Lieux Saints, des pays qui ont été créés très récemment et que tu ne connais donc pas, ou encore les Etats-Unis, un truc lointain, sur un continent dont tu n’avais même pas idée de l’existence… Tous ces pays sont aujourd’hui riches et puissants, et ils restent encore attractifs pour tant des nôtres.
- Et nos armées, ne servent-elles donc à rien ?
- Elles servent à nous défendre contre des types qui en veulent à notre flanc sud; rien de grave, mais c'est embêtant et cette affaire sert aux riches et puissants dont je te parlais à nous rançonner. Mais à notre époque, les armées les plus efficaces sont celles des universités, de la science, de la connaissance, de l’innovation. C’est ainsi qu’on fait la différence. Et dans cette confrontation, le Maroc est loin derrière. Soit nous envoyons nos jeunes s’instruire chez les autres, plus avancés que nous, et ils y restent, soit nous les formons chez nous, et ils s’en vont après chez ces mêmes autres.
- Il y a des problèmes, des troubles, des révoltes au… Maroc ? demande la Tour Hassan, inquiète.
- Non, cela se passe bien, c’est calme et apaisé. Nous nous battons toujours pour une partie de notre territoire, au sud, que nous disputent des dirigeants voisins un peu crétins, mais nous nous en sortons bien. C’est au niveau interne que nos jeunes sentent leur malaise, mais là aussi, nous essayons de bien faire, bon an mal an…
- Que dire de plus, ma jeune amie ?... Je ne comprends rien à ton époque très étrange, mais je constate un bel optimisme et une extraordinaire vitalité en toi. Je te souhaite donc bon courage, et je prierai pour que, quand tu auras mon âge, le Maroc aura retrouvé sa splendeur d’antan, de mon temps.
- Merci, vénérable dame. Espérons même un peu avant !
La Tour Hassan reprend alors sa tranquille hibernation, et la Tour Mohammed VI se réattelle à la finition de sa silhouette, méditant cette discussion avec son aînée…
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost
- Ah oui, ce pays n’existait pas à ton époque, répond la Tour Mohammed VI. Il faut que je t’explique des choses… Pendant que nous autres ici, dans l’empire almohade, nous guerroyions en Afrique, l’Africa, et nous occupions l’Andalousie, au nord de cette Andalousie vivaient des peuplades encore plutôt sauvages, ignorantes, bigotes, avec un système social qui ressemblait à l’esclavage. Elles se battaient entre elles, se consacraient à leur Dieu et se massacraient perpétuellement en son nom, portant le feu, le fer et la dévastation en Terre Sainte… et j’en passe.
- Mais comment de tels sauvages sont-ils parvenus à nous soumettre et à nous dépasser ?, interroge la Tour Hassan.
- Le temps, mon amie, le temps a fait son œuvre. Quand vous, les Almohades, avez fait taire Averroès, les chrétiens ont récupéré les travaux de ce dernier et quelques siècles plus tard, ils ont donné naissance au leur, d’Averroès ; il s’appelait Luther et a permis de révolutionner les choses, permettant une plus grande instruction, l’apparition des sciences, chez nous alors considérées comme impies, et de techniques, chez nous à cette époque rejetées par nos religieux. Les infidèles ont appelé cela les Lumières, qui leur ont permis de sortir des ténèbres… les chrétiens se sont fait la guerre puis l’ont propagée partout sur la planète, et ils continuent aujourd’hui encore, mais dès les 17ème et 18ème siècles, ils ont commencé à nous dépasser, nous surclasser, puis ont entamé leur entreprise de domination. Nous avons été, nous autres Marocains, les derniers à être occupés en Afrique, et parmi les premiers à retrouver notre liberté, mais le mal était fait…
- Quel mal ?
- Nous avons été acculturés, puis affaiblis, puis largement dominés. Depuis, nous avons retrouvé des couleurs, mais nous ne pouvons même plus aller en terre chrétienne, qu’on appelle Europe, comme on veut. Il nous faut une autorisation, ils fouillent nos affaires, farfouillent dans nos intimités, ils connaissent tout de nos vies et nous rien des leurs, même si cela change aujourd’hui un peu… De nos jours, ce sont eux, les riches et les puissants, et ils l’ont été trois siècles durant, sauf que depuis quelques années, les choses ont continué de bouger et d’autres riches et puissants sont apparus. Alors l’ambiance est plutôt à l’énervement général, au sein duquel nous essayons d’exister.
- N’êtes-vous donc plus, Marocains de ce siècle, aussi craints que nous le fûmes ?
- Cette période qui était la tienne, je te l’ai dit, s’est poursuivie et prolongée pendant des siècles, où nous avons même été plus dominateurs, davantage redoutés, sollicités, vantés… mais c’est une époque qui fut et qui, aujourd’hui, est révolue.
- J’en ai les fondations qui frémissent, murmure avec tristesse la Tour Hassan.
- Je te rassure… A notre époque, il y a pire que ne pas être craint, c’est être ignoré, dans les deux sens du terme. Grâce à Dieu et à de louables efforts consentis depuis quelques dizaines d’années, nous sommes, à défaut d’être redoutés, respectés et je peux même dire que nous comptons un peu parmi les autres…
- Ne pouvez-vous mieux faire ?, s’étonne la Tour Hassan.
- Nous nous y attelons, aujourd’hui… et pour cela, tu vas le comprendre, nous recherchons la jiddiya, qui était vôtre et qui, de nos jours, s’est escamotée au bénéfice d’autres choses, explique alors la Tour Mohammed VI.
- Par exemple ?
- Des choses que tu ignores, ma chère, ou que tu as connu sous des formes moins graves… une chose que l’on appelle la corruption, une autre le népotisme, une autre encore l’incompétence. Ce sont, crois-moi des tares…
- Et maintenant ?
- Maintenant, nous essayons de faire mieux… du moins avec ceux qui restent ici.
- Comment cela… ceux qui restent ici, de qui parles-tu ?, interroge une Tour Hassan, aussi déçue du recul du pays qu’intéressée par la suite.
- Ah oui, il faut que je te dise… avec le temps, les gens se déplacent, et parfois même s’en vont dans d’autres pays. Comme je te l’ai dit, les problèmes d’incompétence, de corruption et autres, ont poussé bien des nôtres à partir dans des pays qui n’existaient même pas à ton époque et où les nôtres n’auraient de toutes les manières jamais pensé à aller…
- Par exemple, l’interrompt la Tour Hassan.
- L’Espagne, ton Andalousie… la France dont je t’ai parlé, l’Italie, ou ce qui restait de ton empire romain… et d’autres, comme les pays à côté des Lieux Saints, des pays qui ont été créés très récemment et que tu ne connais donc pas, ou encore les Etats-Unis, un truc lointain, sur un continent dont tu n’avais même pas idée de l’existence… Tous ces pays sont aujourd’hui riches et puissants, et ils restent encore attractifs pour tant des nôtres.
- Et nos armées, ne servent-elles donc à rien ?
- Elles servent à nous défendre contre des types qui en veulent à notre flanc sud; rien de grave, mais c'est embêtant et cette affaire sert aux riches et puissants dont je te parlais à nous rançonner. Mais à notre époque, les armées les plus efficaces sont celles des universités, de la science, de la connaissance, de l’innovation. C’est ainsi qu’on fait la différence. Et dans cette confrontation, le Maroc est loin derrière. Soit nous envoyons nos jeunes s’instruire chez les autres, plus avancés que nous, et ils y restent, soit nous les formons chez nous, et ils s’en vont après chez ces mêmes autres.
- Il y a des problèmes, des troubles, des révoltes au… Maroc ? demande la Tour Hassan, inquiète.
- Non, cela se passe bien, c’est calme et apaisé. Nous nous battons toujours pour une partie de notre territoire, au sud, que nous disputent des dirigeants voisins un peu crétins, mais nous nous en sortons bien. C’est au niveau interne que nos jeunes sentent leur malaise, mais là aussi, nous essayons de bien faire, bon an mal an…
- Que dire de plus, ma jeune amie ?... Je ne comprends rien à ton époque très étrange, mais je constate un bel optimisme et une extraordinaire vitalité en toi. Je te souhaite donc bon courage, et je prierai pour que, quand tu auras mon âge, le Maroc aura retrouvé sa splendeur d’antan, de mon temps.
- Merci, vénérable dame. Espérons même un peu avant !
La Tour Hassan reprend alors sa tranquille hibernation, et la Tour Mohammed VI se réattelle à la finition de sa silhouette, méditant cette discussion avec son aînée…
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost