Par Hachemi Salhi
lectures farouches mais qui appellent le printemps de l’amitié et de l’hospitalité. Même si les temps ne sont plus héroïques mais se couvrent d’incertitudes, de pelures ostentatoires, de tentations génocidaires et de crimes sans nom.
Sous les écoles, sous les hôpitaux, sous les pas des enfants palestiniens, couvent des « houmous » de destruction massive. Vous connaissez désormais la chanson américaine reprise par l’élève israélien.
J’ai toujours mal à la Palestine qui demeure notre ultime part d’humanité, en ce début de siècle rugissant.
Je vous invite encore une fois à partager le poème musical qui suit : Linceul de liberté demeure le poème palestinien
Le proverbe insolite ch’ti dit ceci :
« l est trop tard ed’freumer l’porte de ch’l’étaffe quand ch’bidet i s’insauvé »
(Il est trop tard pour fermer la porte de l’étable quand le cheval s’est sauvé).
Il est où le bonheur, il est où ?
La quête acharnée du poème décharné n’a plus de chair ni de béatitude saisonnière quand nous
regardons le monde s’effriter et la maison humaine se fissurer de l’intérieur, devant nos yeux
biologiques ou encore pire numériques. Ces derniers programmés par des algorithmes libéraux
sans âme lisent le monde pour nous et n’ont pas besoin de sommeil ni de compassion mais juste
de plus-values digitales et de silence des agneaux. La cupidité a emporté le nouveau monde.
Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! Les barricades. Les voltigeurs et puis quoi ?
Cours, camarade !
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Les adjectifs se font rares pour colorer le nouvel étang
des douleurs qui envahit nos paysages. Les larmes viennent à manquer à l’océan des
souffrances. Les écrans pleurent d’innocence simulée, virtuelle. Nous ne nous touchons plus.
Nous ne nous tapons plus fraternellement et heureux dans le dos. Nous ne rompons plus de nos
mains fertiles le pain de la frugalité et de l’amitié sonore, riante.
Que devient le sel de la vie ?
Nous n’avons plus la passion du monde, dirait Guillevic.
« L’homme regarde l’aurore
L’aurore le regarde et dit :
Tu me vois et je te vois »
Ce monde n’est plus mon partage mais celui du démon, dirais-je en inversant le titre célèbre de
Dylan Thomas. Le diable a face humaine, double parfois (Trump et Musk, odeur de puanteur
complotiste, arrogance protectionniste du dollar, expansion impérialiste et intelligence
sacrificielle), idéologique (replis nationalistes de tous bords et populismes sécuritaristes : la
chasse au migrant est ouverte et les frontières sont closes comme les célèbres maisons),
technologique (désir virtuel et servitudes volontaires connectées c’est-à-dire solitudes castrées
en réseau).
Les mots deviennent amers quand l’effroi redouble de force, la plume se doit de rester acérée
et combative. Là réside son humain linceul de vérité.
« Lequel est le monde ? De nos deux sommeils, lequel
Tombera dans l’éveil quand les soins qui démangent
Feront surgir cette terre aux yeux rouges ? »
Voici venu « le temps des assassins ».
Je reprends cette expression de l’ouvrage-essai de Henry Miller sur Rimbaud. Le voyageur du
Bateau ivre répétait que nous étions au bord du précipice et parlait d’Une saison en enfer.
Le crime fait toujours recette, la morale est de comptoir libéral. Les Illuminations se font
cendres dans la bouche goulue de la post-vérité. L’éveil est en nous, en vous.
Gaza, mon amour ! Gaza, beauté barbelée, de ma douleur ruinée.
Ils t’assassinent sous mes fenêtres qui n’ont plus d’horizon. Ils ont froissé ta robe rouge qui
dansait sous les citronniers de tes jardins suspendus tant aimés par Mahmoud Darwich. Le
sonnet des enfants de la Palestine éternelle sonne dans le silence de feu de la pierre arhétorique
blessée. Entendez leurs voix qui appellent le secours des mots rouges de la mort.
Et notre main suspendue et si peu secourable. « Dream up, dream up, let me fill your cup with
the promise of a man » (Harvest)
Sommes-nous le soleil ou la lune de leur désarroi ?
Sous le ciel sans dieu mais plein de drones et de bombes, nous y pleurerons Li Beyrouth de
Fayrouz et les déchirures des peuples sans terre du Proche et Moyen-Orient qui, d’exil en exode,
crient Viva la muerte, dans toutes les langues.
Nous demeurons des foulées de langage qui apaisent le voyage intérieur et les chemins
fragmentés de la paix qui selon le mot de Yeats « comes dropping slow ».
Un souhait qui rejoint celui de mon ami Damian Grant, heureux comme Ulysse quand City
retrouve les filets troués de la gloire. Admirez à quoi tient le bonheur ! Chacun sa Pénélope, la
plus sage des femmes antiques et contemporaines.
De ma mémoire jaillit un cri vertical. Je pense, en cette année 2025, aux Marocains expulsés
d’Algérie en 1975 qui attendent réparation et justice, 50 ans après le drame humanitaire.
La mémoire redevient un trait de peinture, un bleu à l’âme balloté dans un blue train fou
d’espoir, chantant et dansant sur les fers rouillés du rail entre Oran et Oujda.
Mon vaste cri se nomme devoir de mémoire 1975, un impératif catégorique de justice et de
vérité et un pacte testimonial de paix pour les générations futures. Son ouvrage studieux est une
calligraphie musicale sans contrepoint, accompagnant le silence des tombes de mes parents
enterrés à Rabat, à qui je pense souvent, que je nettoie entre deux voyages d’impitoyable clarté
et de fulgurance mémorielle.
Les tombes de ma petite sœur Khadija et de mon grand-père maternel Belkacem, enterrés au cimetière des Planteurs à Oran me sont inaccessibles en déraison des frontières fermées. Mon grand-père paternel El Hachemi dort pour l’éternité dans le cimetière Aïn al-Bayda, la source blanche, lui qui était sourcier et puisatier parcourant l’Oranie agricole de la fin du 19ème siècle. J’ai demandé au figuier sycomore et au cyprès de la vérité de veiller sur la mémoire et la minéralité sacrée de leurs ossements d’outre-tombe.
Le mot incertain ou plus apaisé est salut et chant du monde que je vous dédie.
Que l’année 2025 vous soit prospère !
Je vous souhaite un monde intelligible entre la brièveté saisonnière d’un haïku et le vide
métaphysique de l’infini cosmique ou mathématique qui, parfois, nous sort du comique des
situations et nous rend plus humbles face au temps qui coule en dehors de nous.
L’enfant du Prince vous dessinera un mot.
Vous m’écrirez une lettre.
Que je lirai sûrement.
« Toute parole étant idée, écrivait Rimbaud, le temps d’un langage universel viendra ! ...»
Il est en vous, sa fenêtre ouvre sur le partage des saisons. Puis admirez cette belle constante
cosmologique du jardinier : le soleil brille pour tout le monde ! Comme le mot. La clémence du
verbe, savoureuse comme une clémentine. Une respiration profonde entre deux chagrins du
temps sémantique. Simple comme bonjour. Paix. Salam ‘Aleykoum.
Alors,
« Qui te dira
Si ton poème
(En prose, silence, fragment, battement de cœur ou en geste d’humilité)
Est poème ?
Il nous faudra de la vraie pauvreté jusqu’à la mer pour dénuder l’océan des cadavres audacieux
et nègres des migrants subsahariens, comme ils disent.
« Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale. »
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, New York, 1947.
Est-ce pour cela que nous fuyons les rives de l’Europe occidentale, accidentée et hostile, de
peur de marcher sur des corps d’enfants ? Est-ce pour ce faire que nous aimons les cimetières
marins de l’Autre rive ?
L’âme saoule, nous chanterons Hit The Road Jack pour conjurer le stigmate et l’injure :
« Fiche le camp Ahmed (c’est le nom de mon père)
Et surtout ne reviens plus jamais
Jamais, jamais, jamais. »
Meurtris dans le bruit assourdissant de notre confort quasi quotidien qui n’est pas un oxymore,
nous manquons parfois de courage ou d’audace. Nous ne manquerons jamais de mots pour dire
non à la barbarie du temps des assassins.
Je vous espère une année élémentaire, des mains émues, tremblantes et chaudes, pleines de
vagues et de graines de sérénité ou d’ananar.
Pêcheurs sans filet contre l’oubli, marins naufragés dans les abysses de la douleur, cueilleurs
du miel des cimes, arrachons le sel de la vie et de la terre à l’océan des rumeurs et à la joie des
embruns de la mer toujours recommencée.
Hachemi Salhi
Un matin ensoleillé et blanc de neige silencieuse
Janvier 2025