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Allier tradition et dynamique réformatrice : Les nouvelles frontières de la Moudawana (2/2)




Par Mohammed BENAHMED

Allier tradition et dynamique réformatrice : Les nouvelles  frontières de la Moudawana (2/2)

Enjeux et complexité de l'harmonisation des référentiels

Tensions entre références religieuses et universelles

La nouvelle réforme de la Moudawana en cours représente une étape importante dans l'évolution des droits civiques et sociaux au Maroc. Parmi les amendements majeurs qui seraient évoqués dans le rapport de la commission désignée, figurent l'interdiction du mariage des mineures, une pratique encore répandue dans les milieux précaires, malgré les lois visant à la restreindre, et de la polygamie, sujet de controverses fréquemment critiqué par les organisations féministes, suggérant un changement significatif dans la perception sociale des droits matrimoniaux.
 

Des ajustements seraient également révélés dans ce rapport en ce qui concerne les droits à l'héritage pour les filles, lorsqu’elles sont les seules héritières, l’élargissement du champ du testament, ou encore les modalités de certains types de divorce. En outre, une attention particulière est portée aux enfants nés hors mariage, qui sont souvent stigmatisés et marginalisés, en proposant des mesures pour améliorer leur statut légal et social.
 

Ces réformes ne sont pas sans provoquer des tensions, en particulier entre les conservateurs défenseurs de la loi islamique et ses finalités, les associations féministes et les partis politiques progressistes. Ces tensions se manifestent souvent dans la jurisprudence, où des juges peuvent interpréter les lois en vigueur à travers le prisme de leurs propres convictions idéologiques, conduisant à des décisions parfois contradictoires qui peuvent affecter la cohésion sociale et la confiance dans le système légal.
 

Les dispositions qui touchent à la polygamie et au mariage des mineures sont particulièrement sensibles. Plusieurs membres du conseil supérieur des oulémas, qui ne sont ni pour l’interdiction totale ni pour l’autorisation absolue, considèrent comme impossible et contreproductif la mise place d’une règle générale pour l’ensemble des cas, préconisant d’adopter une approche au cas par cas, et de travailler sur les textes procéduraux, à même de concilier les textes avec l’intérêt suprême.
 

Aspirations et préoccupations face au changement
 

Pour comprendre pleinement l'impact de ces réformes, il est instructif d'écouter les voix de ceux directement concernés ou impliqués dans leur mise en œuvre. Des témoignages de femmes bénéficiant de ces changements juridiques soulignent leur importance pour l'autonomisation économique et personnelle. Par exemple, des femmes entrepreneurs rapportent que l'amélioration de leur statut légal leur a permis d'accéder à des ressources et à des opportunités d'affaires qui, auparavant, étaient hors de portée.


D'un autre côté, des théologiens expriment leurs préoccupations, mettant en avant la nécessité de maintenir la cohérence avec la constitution qui consacre l'Islam comme la religion officielle de l'Etat, et de s'aligner avec les textes Coraniques formels, la Sunna, le leg des jurisconsultes musulmans ainsi que le cadre jurisprudentiel (ijtihad) et ses conditions.
 

Des juristes et des activistes des droits de l'Homme discutent également de l'importance d'une réforme inclusive qui protège les droits de tous les citoyens tout en respectant la diversité culturelle et religieuse nationale. Ils soulignent que pour que la réforme soit efficace, elle doit être accompagnée de campagnes de sensibilisation et d'éducation pour en assurer l'acceptation et la compréhension par la société marocaine dans son ensemble.


 Une réforme controversée… mais nécessaire

Alors que le Maroc continue de progresser vers une plus grande équité de genre, il est essentiel de mettre en place des stratégies informées et bien planifiées, et des feuilles de route contextualisées pour surmonter les défis actuels et futurs du bien-être collectif. Ces feuilles de route, déclinées en portfolios de politiques et de projets, doivent être fondées sur des données rationnelles et des recherches objectives, impliquant une collaboration étroite entre le Conseil supérieur des oulémas, les partis politiques, le gouvernement, les institutions académiques, les médias, les organisations de la société civile et les citoyens.
 

Compromis entre défis sociétaux et risques de la réforme
 

La réforme de la Moudawana, en tant que refonte significative du code de la famille, nécessite une approche minutieuse pour équilibrer modernité et respect des traditions, tout en protégeant la cohésion économique et sociale, et les constantes de l’État. L'implication de l'élite politique et de la communauté du savoir élargie est essentielle pour appréhender les défis et les opportunités liés à cette réforme.
 

Cette réforme devrait être envisagée avec une compréhension profonde des risques sociaux et psychologiques qu'elle peut engendrer, garantissant que les modifications proposées maintiennent un équilibre entre la modernisation de la législation familiale et les fondamentaux de l'Islam, qui constituent un pilier constitutionnel de l'identité marocaine. Les décideurs doivent rester vigilants afin d’éviter que ces changements n'entraînent une perte de la cellule familiale, et de garantir ainsi la dignité de tous les membres de la famille.
 

Pour prévenir les conséquences potentiellement néfastes de la réforme, il est essentiel de réaliser des études prospectives ainsi que des évaluations d'impact approfondies et bien documentées. Ces recherches doivent mobiliser différents spécialistes – sociologues, politologues, psychologues, juristes, théologiens, universitaires, ONGs – et se focaliser sur les conséquences à long terme de la réforme, tout en régulant les influences idéologiques et partisanes. Cela aidera à anticiper les effets pervers et à formuler des politiques qui renforcent la structure familiale tout en intégrant les impératifs du progrès social et économique.

 


Appel à la collaboration pour une réforme équilibrée et durable

La Moudawana doit soutenir le développement d'une famille stable, évitant la création de conditions qui pourraient désavantager psychologiquement ou socialement les futures générations. Les amendements préconisés doivent être sensibles aux valeurs culturelles, assurant que les changements législatifs renforcent plutôt qu'ils ne dégradent les référentiels fondamentaux partagés par la grande majorité de la société marocaine.
 

L'avenir du pays dépend de sa capacité à embrasser l'équité de genre non seulement comme une obligation de respect des engagements internationaux, mais aussi comme une composante clé de sa propre vision de développement en alignement avec ses valeurs sociétales. Il est essentiel que tous les acteurs concernés travaillent ensemble pour soutenir ces changements vitaux, en veillant à ce que les progrès réalisés soient préservés et également amplifiés dans les années à venir, augmenter significativement la productivité globale, améliorer la santé et le bien-être familial, et réduire la pauvreté.

 

Cette réforme requiert une approche holistique et nuancée, et devrait s'appuyer sur des indicateurs sociologiques solides, permettant une évaluation continue de l'impact des amendements législatifs sur différentes strates de la société. Ces indicateurs, comprenant notamment l'analyse des conditions de vie et de l'égalité des chances, aideront à ajuster les politiques en fonction des besoins réels des citoyens et à préserver l'équilibre entre modernité et tradition.


En conclusion, le Maroc se trouve à un moment charnière de son histoire, et les actions prises aujourd'hui pour promouvoir des politiques de genre auront des répercussions profondes sur l’avenir de la nation. La réforme de la Moudawana est une initiative complexe qui doit être placée au cœur des politiques, des budgets et des institutions nationales. En considérant les préoccupations sociales, culturelles, et religieuses, tout en intégrant les principes des droits humains universels, le Royaume est en mesure d'accomplir une transformation sociale qui permet d’honorer à la fois son héritage et ses aspirations futures, de stimuler la croissance, de contribuer à briser le cycle de la pauvreté et de progresser vers les objectifs de développement durable et inclusif.

Rédigé par  Mohammed BENAHMED




Vendredi 31 Mai 2024

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