Algérie, 60ème anniversaire: l'Independence sans …la liberté


L'Algérie a fêté le 5 juillet le 60ème anniversaire de son indépendance. Quel bilan ? Et pour fêter quoi ? Globalement, pour commencer cette observation de principe : consubstantiellement, ce pays n'est pas démocratique - et en l'état, il n’aucune possibilité de le devenir. Pourquoi ?



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Par Mustapha Sehimi

Parce que le militaire occupe une centralité historique et politique. Une problématique déjà posée en août 1956, au congrès de la Soumam, soutenue alors par l'un des dirigeants, Abane Ramdane, qui avait défendu la primauté du politique -il a été assassiné quelques mois plus tard…

Avec l'indépendance, les contradictions vont s’exacerber : elles vont formater durablement le régime algérien. L'armée des frontières – dirigée par le colonel Boumediene, et dont l'état-major était à Ghardimao (Tunisie)-noue une alliance avec Ahmed Ben Bella - l'un des cinq dirigeants historiques arrêtés en octobre 1956 dans un avion marocain allant de Rabat à Tunis. Le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) est dissous. La junte dirigée par le colonel Boumediene marche sur Alger et prend le pouvoir.

Le président de la nouvelle Assemblée nationale, Ferhat Abbas, qui avait dirigé le GPRA avant de céder le siège à Benyoucef Benkhadda démissionne avec éclat en mai 1963. Le FLN se proclame parti unique à cette même date. Le FFS de Hocine Aît Ahmed est frappé d'interdiction et se soulève dans la Kabylie ; le PRS de Mohamed Boudiaf aussi - tous les deux sont arrêtés. Le congrès du FLN et le gouvernement sont marqués par le poids et l'influence des militaires et des proches de Boumédiène (Abdelaziz Bouteflika, Cherif Belkacem, Ahmed Medeghri, Kaïd Ahmed,...). 

Centralité de l’armée
Prétextant le pouvoir personnel de Ben Bella, président depuis septembre 1963, l’armée fait un coup d'Etat le 19 juin 1965 et s’empare du régime. Depuis, elle est restée au centre du pouvoir, comme l'atteste le déroulé des dernières années. Contrairement, à ce qui peut être avancé, ici ou là, elle n'a rien cédé à cet égard, le pouvoir réel" était entre ses mains derrière une façade institutionnelle même pluraliste après les évènements d'octobre 1988 à Alger.

Il faut ajouter qu'elle s'est repolitisée avec la décennie noire de la lutte contre le terrorisme islamiste (1992-2000) soldée par plus de 200.000 morts. C'est cette même armée qui a installé Bouteflika à la tête de l'Etat en 1999 - elle lui avait déjà fait cette même proposition cinq ans auparavant... Il sera renversé par les généraux, voici deux ans, le 2 avril 2019, le sommant de démissionner "immédiatement". Le Hirak lancé le 22 février de cette même année avait ainsi obtenu gain de cause, mais partiellement en ce sens qu'il réclamait un "pouvoir civil"... Son successeur, Abdelmajid Tebboune, élu en décembre a été lui aussi choisi par l'armée. Il a obtenu, officiellement, 58% au premier tour - un chiffre largement contesté - et une participation électorale de 41%.

Avec la nouvelle Constitution amendée du 1er novembre 2020, l’armée n’entend plus se limiter à être un "pouvoir réel"; elle consacre ainsi sa place et son rôle en se conférant la mission de défendre "les intérêts vitaux et stratégiques du pays" (article 30, aliéna 4). Les cérémonies d'anniversaire du 5 juillet 2022 ont bien montré que l'armée assumait et entendait incarner l'Algérie, par-delà les institutions publiques et partisanes. 

Au final, quel est le compte d'exploitation de ce régime aujourd'hui ? Le pluralisme partisan est fortement corseté avec des partis interdits, d'autres réprimés et les derniers astreints à une figuration qui ne trompe personne. Au cours du seul mois de janvier 2022, les autorités ont suspendu le parti Socialiste des travailleurs (PST) et menacé deux autres, l'Union pour le Changement et le Progrès (UCP) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) - une formation dont le leader historique était Saïd Saâdi. De plus, le coordinateur du Mouvement Démocratique et social (MDS) a été condamné à deux ans de prison. Le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) - une association connue de la société civile - a été également dissout" pour organisation d'activités ne correspondant pas à ses statuts".

La répression, marque du régime
La marque de ce régime ? Rien d'autre que la répression. Elle s'était accentuée avant son accession au Palais d'El Mouradia, sous l'intérim d'Ahmed Gaïd Salah, ancien patron de l'armée, après la chute de Bouteflika en avril 2019. Elle ne connait pas de répit depuis : tant s'en faut. Une bonne centaine de prisonniers liés au Hirak sont encore détenus, même après la grâce présidentielle et des "mesures d'apaisement du front interne" prises ce 5 juillet.

Mais selon la Comité pour la libération des détenus d’opinion (CNLD) "plus de 300 détenus d'opinion sont dans les prisons depuis des mois". Le slogan du "Président rassembleur" mis en avant par la propagande d'Etat ? Un trompe-l’œil. Le pouvoir algérien en effet est régulièrement mis en cause par des ONG qui dénoncent la répression, la détention de prisonniers d'opinions ainsi que ses conditions. Le 24 avril dernier, est mort dans un hôpital d'Alger le militant Hakim Debazzi écroué pour un post sur Facebook.

Si le bilan de l'Etat de droit, de la démocratie et des libertés est un véritable sinistre rangeant l'Algérie dans le dernier lot des classements internationaux, les réformes sociétales sont également à inscrire au passif de ce pays. Qu'est-ce que l'identité algérienne aujourd'hui ? Faut-il la limiter au socle de l'islam et l'arabité ? L'Algérie ne doit-elle pas avoir une identité plutôt algérienne pouvant évoluer, plus vivante, plus diverse aussi ? Ce qui pose le problème de la langue tamazight consacrée langue nationale puis officielle en 2016 mais sans traduction dans les curricula scolaire ni dans l'administration.

Mais il y a plus. Ainsi le régime d'Alger n'entreprend aucune réforme quant à la condition féminine. Voilà une donnée historique établie par six décennies. Les droits de la femme doivent évoluer. Il ne peut avoir de renouveau démocratique avec un Code de la famille inégalitaire et qui ne prend pas en charge dans les politiques publiques l'égalité genre. Le statut des femmes est celui de la soumission et ce par bien des traits - divorce, garde des enfants.

Faut-il rappeler au passage que le mouvement Hirak, de mobilisation populaire, a vu se greffer des femmes portant des valeurs militantes ? Rien n'est réglé aujourd'hui en Algérie tant il est vrai que le dynamique sociale et contestataire est présente, bouillonnante, avec une capacité à rebondir et à se polariser de nouveau. Un avenir encore à dessiner, sans doute, ravivant un autre projet de société : celui de la liberté et de ses multiples déclinaisons institutionnelles et politiques. Un peuple avec une longue marche...

Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid


Mardi 12 Juillet 2022

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