Écouter le podcast de cet article :
Par Taoufiq Boudchiche
D’autre part, il y a les difficultés inhérentes à un continent soumis à des tensions diverses : conflits de voisinage, retour des coups d’Etat, insécurité… Ces obstacles couplés à des modèles économiques non inclusifs dominés par plusieurs dysfonctionnements : économies rentières, aggravation des inégalités sociales, disparités territoriales, insécurité alimentaire et énergétique, … représentent des freins structurels aux progrès économiques et sociaux en Afrique.
Face à cela, il y a tout de même, si on veut voir le verre à moitié rempli, des efforts qui sont entrepris pour mener à bien les transformations nécessaires. Des stratégies volontaristes à la fois de transition industrielle, transition écologique, transition numérique, transition énergétique qui sont résolument enclenchées. Plusieurs institutions internationales les encouragent comme la Banque Africaine de Développement. Celle-ci s’est engagée par exemple lors de la deuxième conférence africaine sur l’Agriculture le 25 Janvier dernier à hauteur de 10 milliards de DH pour contribuer à mettre en œuvre une stratégie de souveraineté alimentaire en Afrique.
L’enjeu de la souveraineté en Afrique à différents niveaux stratégiques alimente par ailleurs le débat politique au sein du continent (rejet de l’ingérence étrangère), financière (remise en question du Franc CFA), indépendance énergétique, sécurité alimentaire,…Cette aspiration à la souveraineté serait-elle un nouveau prisme structurant des politiques publiques en Afrique ? La crise sanitaire avait déjà permis d’en reconnaître son importance. Depuis, la guerre en Ukraine, le concept de souveraineté s’impose comme une exigence partout dans le monde. Une situation qui préfigure une nouvelle ère géoéconomique que certains n’hésitent pas à qualifier de « post-mondialisation ».
Les crises successives récentes en si peu d’années ont en effet montré la fragilité de modèles politico-économiques fondés sur une insertion non raisonnée dans la mondialisation. Aujourd’hui, l’ambition de s’orienter sur la création de chaînes de valeur régionales semblent une option plus viable que celle de chaînes de valeur élaborées à des milliers de kilomètres de distance. Ces mêmes crises incitent à une diversification du partenariat. Une diversification qui s’est accélérée avec le retour de la guerre en Europe qui a mis à mal en outre la vision ‘occidentalo-centriste’ dans les nouveaux équilibres géopolitiques. Ces phénomènes renforcent la conviction chez un grand nombre d’observateurs que le monde change sous nos yeux sauf chez ceux qui feignent de ne pas s’en apercevoir.
Il y a aussi au sein des nouvelles générations de la jeunesse africaine, hyper-connectées et mieux instruites, une revendication devenue de plus en plus pressante de faire reconnaître aux anciennes puissances coloniales leurs responsabilités historiques dans les difficultés actuelles des pays africains. Des voix s’élèvent pour demander des comptes aux anciens colonisateurs (réparations des crimes contre l’humanité, restitution des biens et patrimoines constitués lors de la colonisation, rejet du paternalisme politique, rejet de la stigmatisation médiatique …).
D’autre part, du côté du Sud global, la souveraineté ne doit pas être instrumentalisée par des forces politiques régressives pour justifier ou dissimuler dans ce mot la mauvaise gouvernance, l’absence de démocratie, l’autoritarisme et la théocratie. La post-mondialisation si elle n’est pas bien pensée risque de faire exploser de nouvelles fractures au niveau mondial comme elle peut-être source de nouvelles opportunités dans un monde plus diversifié si elle est intelligemment appréhendée.
Rédigé par Taoufiq Boudchiche