Par Aziz Boucetta
L’Assemblée générale des Nations Unies a voté ce mercredi 2 mars une résolution condamnant l’agression commise par la Russie contre l’Ukraine. Le texte a été adopté par 141 votes pour, 5 votes contre et 35 abstentions ; 12 pays n’ont pas pris part au vote, dont le Maroc, signant là un coup de poker majeur dans sa diplomatie.
Rabat explique dans un communiqué que sa décision de ne pas participer au vote « ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe [concernant le conflit] », cette position exprimée dans un précédent communiqué étant double : le soutien à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de tous les Etats, et l’attachement au principe de non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats.
Autrement dit, le Maroc s’oppose à tout usage de la force, mais refuse de condamner celui qui y a recours aujourd’hui, en l’occurrence la Russie. Que peut bien signifier cette position fort ambigüe ? Plusieurs pistes de réflexion sont possibles, sans rien ôter au caractère « coup de poker » de la décision :
1/ La solution la plus logique, et la plus facile, eût donc bien évidemment été de voter avec « la communauté internationale ». Mais, contrairement à « la communauté internationale » et sans doute même de son fait, le Maroc est soumis à une tension permanente depuis un demi-siècle sur une portion de son territoire, ce qui laisse des traces dans sa réflexion et le conduit à faire la part des choses. Dans l’affaire ukrainienne, Il n’y a en réalité pas de « communauté internationale », mais une action impliquant les grandes puissances : Etats-Unis et Europe ont condamné, Chine et Inde se sont abstenu. Tous les autres Etats ont fait des calculs diplomatiques. Le Maroc, à son tour, fait le sien, et semble tout à fait prêt à l’assumer.
2/ L’idée la plus répandue est de considérer que le Maroc étant depuis toujours et depuis des siècles un allié de l’Occident, il aurait dû voter avec son camp. Mais un allié, cela fonctionne dans les deux sens ; or, dans l’affaire du Sahara, le royaume a droit à des formules diplomatiques qui, pour être globalement à son avantage, n’en restent pas moins alambiquées dans la formulation des résolutions le concernant, appelant à « une solution politique réaliste, pragmatique, durable, mutuellement acceptable, qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental… ».
Les « grands » pays savent pourtant pertinemment l’Histoire, mais ils ne veulent ni contenter le Maroc, ce qui serait trop facile, ni mécontenter l’Algérie, très agressive. Alors ils laissent « pourrir » la situation, qui pourrit effectivement depuis un demi-siècle. Le Maroc le rappelle ici par sa prise de position, encore une fois risquée…
3/ Le Maroc est de fait un allié des Etats-Unis et du bloc occidental, mais il n’hésite pas à regimber quand il sent ses intérêts menacés, comme en 2013, ou lorsqu’il pense qu’ils sont ailleurs, comme aujourd’hui. Rabat a défini sa doctrine diplomatique, qui consiste à établir un équilibre avec les trois grandes puissances que sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Cette doctrine n’est pas sans péril.
Aujourd’hui, avec cette résolution de l’AG, même non contraignante, Alger n’a pas soutenu Moscou, et Rabat ne l’a pas condamné. Cela ne ruinera certainement pas les relations de Rabat avec l’OTAN (même si des temps orageux sont à prévoir), mais pourrait contribuer à réchauffer celles avec Moscou, qui repasserait à la neutralité positive qui était la sienne concernant le Sahara, du moins jusqu’à il y a quelques années.
4/ Le Maroc veut s’affirmer comme un pays à la décision souveraine, et il en a l’occasion aujourd’hui dans ce qui ressemble fort à un hallali contre la Russie de Poutine et un règlement de compte contre Poutine lui-même. Mais il faut reconnaître que pour risquée qu’elle soit à court terme, la décision de Rabat de ne pas participer au vote affirmera le royaume comme acteur géopolitique régional et continental.
Le Maroc a entamé sa prise de risque à travers ses positions en rupture avec plusieurs pays européens en 2020, et auparavant, il avait agi de la même manière pour le Qatar et le Yémen en 2017, au risque de « déplaire » à ses alliés golfiques… aujourd’hui, il persiste dans cette voie de décision souveraine.
5/ Si telle est la position marocaine, il appartient à nos dirigeants de savoir que le front intérieur doit être renforcé et consolidé, tant du point de vue économique (le PIB et le PIB par habitant restent faibles) que politique. En effet, notre classe politique demeure relativement timorée et ne sert en rien la communication nécessaire pour expliquer et convaincre l’opinion publique, abreuvée d’une information essentiellement occidentale et donc unilatérale, la conduisant à contester, ou au moins à douter, de la position du pays à l’ONU.
6/ Enfin, il est utile de garder en mémoire que depuis cette agression russe contre l’Ukraine, car c’en est incontestablement une, les relations internationales changeront radicalement de nature. Rien ne sera plus comme avant et il est peut-être judicieux de faire acte d’anticipation, même risqué.
Risqué… coup de poker… oui, sans aucun doute. Gageons que les dirigeants marocains ont bien calculé les différents paramètres qui ont conduit à leur stratégie et, dans l’attente, ils mériteraient d’être soutenus car l’heure n’est pas à la division mais à l’union autour des responsables, comme c’est le cas partout en Europe et aux Etats-Unis.
Rabat explique dans un communiqué que sa décision de ne pas participer au vote « ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe [concernant le conflit] », cette position exprimée dans un précédent communiqué étant double : le soutien à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de tous les Etats, et l’attachement au principe de non recours à la force pour le règlement des différends entre Etats.
Autrement dit, le Maroc s’oppose à tout usage de la force, mais refuse de condamner celui qui y a recours aujourd’hui, en l’occurrence la Russie. Que peut bien signifier cette position fort ambigüe ? Plusieurs pistes de réflexion sont possibles, sans rien ôter au caractère « coup de poker » de la décision :
1/ La solution la plus logique, et la plus facile, eût donc bien évidemment été de voter avec « la communauté internationale ». Mais, contrairement à « la communauté internationale » et sans doute même de son fait, le Maroc est soumis à une tension permanente depuis un demi-siècle sur une portion de son territoire, ce qui laisse des traces dans sa réflexion et le conduit à faire la part des choses. Dans l’affaire ukrainienne, Il n’y a en réalité pas de « communauté internationale », mais une action impliquant les grandes puissances : Etats-Unis et Europe ont condamné, Chine et Inde se sont abstenu. Tous les autres Etats ont fait des calculs diplomatiques. Le Maroc, à son tour, fait le sien, et semble tout à fait prêt à l’assumer.
2/ L’idée la plus répandue est de considérer que le Maroc étant depuis toujours et depuis des siècles un allié de l’Occident, il aurait dû voter avec son camp. Mais un allié, cela fonctionne dans les deux sens ; or, dans l’affaire du Sahara, le royaume a droit à des formules diplomatiques qui, pour être globalement à son avantage, n’en restent pas moins alambiquées dans la formulation des résolutions le concernant, appelant à « une solution politique réaliste, pragmatique, durable, mutuellement acceptable, qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental… ».
Les « grands » pays savent pourtant pertinemment l’Histoire, mais ils ne veulent ni contenter le Maroc, ce qui serait trop facile, ni mécontenter l’Algérie, très agressive. Alors ils laissent « pourrir » la situation, qui pourrit effectivement depuis un demi-siècle. Le Maroc le rappelle ici par sa prise de position, encore une fois risquée…
3/ Le Maroc est de fait un allié des Etats-Unis et du bloc occidental, mais il n’hésite pas à regimber quand il sent ses intérêts menacés, comme en 2013, ou lorsqu’il pense qu’ils sont ailleurs, comme aujourd’hui. Rabat a défini sa doctrine diplomatique, qui consiste à établir un équilibre avec les trois grandes puissances que sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Cette doctrine n’est pas sans péril.
Aujourd’hui, avec cette résolution de l’AG, même non contraignante, Alger n’a pas soutenu Moscou, et Rabat ne l’a pas condamné. Cela ne ruinera certainement pas les relations de Rabat avec l’OTAN (même si des temps orageux sont à prévoir), mais pourrait contribuer à réchauffer celles avec Moscou, qui repasserait à la neutralité positive qui était la sienne concernant le Sahara, du moins jusqu’à il y a quelques années.
4/ Le Maroc veut s’affirmer comme un pays à la décision souveraine, et il en a l’occasion aujourd’hui dans ce qui ressemble fort à un hallali contre la Russie de Poutine et un règlement de compte contre Poutine lui-même. Mais il faut reconnaître que pour risquée qu’elle soit à court terme, la décision de Rabat de ne pas participer au vote affirmera le royaume comme acteur géopolitique régional et continental.
Le Maroc a entamé sa prise de risque à travers ses positions en rupture avec plusieurs pays européens en 2020, et auparavant, il avait agi de la même manière pour le Qatar et le Yémen en 2017, au risque de « déplaire » à ses alliés golfiques… aujourd’hui, il persiste dans cette voie de décision souveraine.
5/ Si telle est la position marocaine, il appartient à nos dirigeants de savoir que le front intérieur doit être renforcé et consolidé, tant du point de vue économique (le PIB et le PIB par habitant restent faibles) que politique. En effet, notre classe politique demeure relativement timorée et ne sert en rien la communication nécessaire pour expliquer et convaincre l’opinion publique, abreuvée d’une information essentiellement occidentale et donc unilatérale, la conduisant à contester, ou au moins à douter, de la position du pays à l’ONU.
6/ Enfin, il est utile de garder en mémoire que depuis cette agression russe contre l’Ukraine, car c’en est incontestablement une, les relations internationales changeront radicalement de nature. Rien ne sera plus comme avant et il est peut-être judicieux de faire acte d’anticipation, même risqué.
Risqué… coup de poker… oui, sans aucun doute. Gageons que les dirigeants marocains ont bien calculé les différents paramètres qui ont conduit à leur stratégie et, dans l’attente, ils mériteraient d’être soutenus car l’heure n’est pas à la division mais à l’union autour des responsables, comme c’est le cas partout en Europe et aux Etats-Unis.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panora Post