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Par Aziz Boucetta
Comment l’Occident, cet espace géopolitique, civilisationnel et économique du globe a-t-il pu supporter et supporte-t-il encore ces images déferlant de toutes parts de ces enfants déchiquetés et toujours vivants, qui hurlent, de ces parents défigurés par la douleur et le chagrin tenant à la main un morceau de leur enfant, de ces médecins pleurant de rage face à leur impuissance à sauver un jeune homme encore surpris de constater qu’il n’a plus de jambes, de ce directeur d’école effondré qui observe le regard fixe son école effondrée sous laquelle se trouvaient quelques minutes encore des dizaines d’enfants, et dont les corps se trouvent toujours là, de ces soldats criminels qui percent le dos d’un prisonnier ligoté avec des canifs, de ces soldats violeurs qui dénudent une femme en abaya sous les yeux de tous…
Comment ces dirigeants, ces journalistes, ces « intellectuels » occidentaux peuvent-ils encore avoir la capacité de parler du massacre du 7 octobre quand, depuis le 7 octobre, tant de massacres ont cours, de la part d’une armée régulière, qu’ils persistent à vendre comme celle du « seul-pays-démocratique-de-la-région » ? Comment ces dirigeants peuvent-ils accoler le terme démocratique à un Etat qui a instauré et pratique l’apartheid, qui commet un génocide, dont les snipers tirent à la lunette sur des femmes et des enfants portant un drapeau blanc… sans réduire la portée de leurs propres systèmes démocratiques ?
En Occident, en France et aux Pays-Bas tout spécialement, une doxa islamophobe grandit, explose, s’impose contre toute une population alors même que l’extrémisme religieux suinte de tous les pores des dirigeants israéliens et que sort de leur bouche un discours messianique exterminateur. Mais personne en Occident n’en a cure car l’Europe s’est alignée sur les Etats- Unis, que les Etats-Unis ne reconnaissent que la force et le soutien inconditionnel à Israël et qu’Israël extermine non seulement en toute impunité, mais avec la complicité occidentale ; une complicité par la fourniture d’armes, une complicité médiatique, une complicité politique. Une complicité criminelle.
Jamais le monde n’a connu une telle boucherie. A Dresde, en 1945, ou pendant la guerre du Vietnam, au début des années 1970, les bombardements étaient massifs, meurtriers mais il n’y avait pas de blocus ni de famine ; à Léningrad, en 1942, la ville était sous blocus total, mais il n’y avait pas de bombardements massifs, quotidiens, dans une ville 4 fois plus grande que la Bande de Gaza. Dans cette Bande aujourd’hui, tout y est, blocus sévère, muraille haute, bombardements incessants, usage d’armes interdites, de gaz, de sous-munitions, blocage de l’acheminement de vivres, d’eau et de médicaments… 25.000 morts, dont les deux tiers de femmes et d’enfants,...
80.000 blessés, 40% de la Bande entièrement ou partiellement détruits, des dizaines de journalistes et d’employés de l’ONU tués. En trois mois et demi. A titre comparatif, la guerre en Ukraine, sur un territoire de 603.000 km², a occasionné la mort de 25 à 30.000 morts civils, en deux ans !
En Europe occidentale et aux Etats-Unis, des voix s’élèvent pour exiger que Tsahal « finisse le job » et des ministres israéliens, plus serial killers que politiques, appellent à déporter les populations palestiniennes en Egypte, en Jordanie, en Europe ou ailleurs. Ces gens, comme en Israël, sont confortés par le sentiment d’impunité, réel, des criminels agissant désormais en roue libre ; ces personnalités occidentales comme Meyer Habib en France, sont prêts à tuer, prêts à tous les crimes pour Israël, prêts à massacrer, à « génocider » au besoin, et en Occident, on devrait s’interroger sur le danger que présentent ces personnes exaltées pour leurs propres sociétés… Oui, il s’agit bien d’un génocide et c’est Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, qui le dit et l’affirme.
Cela fait plusieurs siècles que l’Occident sermonne le monde tantôt sur l’utilité de ses « missions civilisatrices », tantôt sur la suprématie du droit international et la centralité de la question des droits de l’Homme. Le pic de cette propagande a été atteint avec le conflit en Ukraine qui, en dépit des morts civils, reste globalement une guerre entre deux armées. Mais cette propagande, mise à l’épreuve du génocide en cours à Gaza, atteint ses limites et montre la profonde, l’extraordinaire hypocrisie des dirigeants occidentaux, conduits par Joe Biden, qui permet tout, tolère tout à Israël. Le naufrage moral de l’Occident est acté et, dans leurs relations au reste du monde, dans leurs sermons sur les droits de l’Homme, un pas est franchi, une rupture est consommée. Rien ne sera plus comme avant.
On peut limoger des présidents d’université aux Etats-Unis, auditionner des hauts fonctionnaires qui refusent d’adopter la doxa commune et imposée en France, de museler les médias par la pression et la menace, d’ostraciser les voix, de plus en plus nombreuses, qui condamnent les massacres à Gaza… Le monde occidental vacille et la division le menace.
Dans les pays arabes, il sera de plus en plus difficile aux dirigeants de réagir aux événements gazaouis par de simples professions de foi ou des déclarations indignées émises de loin en loin. L’action courageuse et, oui, osons le mot, historique, de l’Afrique du Sud les place face à leurs contradictions. La realpolitik et la géopolitique ne peuvent tout justifier et ne pourront tenir longtemps face à la gronde populaire et à cette déchirure que connaît l’humanité entière.
Pendant ce temps-là, Benyamin Netanyahou continue d’affirmer que la guerre, en fait les massacres, durera longtemps encore. Quand donc le monde occidental comprendra-t-il qu’il faut mettre un frein à cette folie meurtrière qui s’est emparée d’Israël ? Quand donc consentira-t-il à écouter les voix sages qui appellent à réagir, voire à agir ? Attend-il que le conflit se déporte sur son sol ? Il est à craindre que oui. Dans l’intervalle, l’Occident aura perdu, a déjà perdu, définitivement, ce qui semble avoir été un magistère moral sur le reste du monde.
Aziz Boucetta