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Par Aziz Boucetta
Ils ont fait porter la tenue marocaine de football aux patrons des deux grandes institutions financières, et ils leur ont fait jouer un match avec des gloires du foot national. A Marrakech, la logistique était parfaite, la sécurité rassurante, les thématiques choisies pertinentes et les discussions intéressantes. Les deux patrons – fait inédit – ont été convoyés à Rabat pour assister au discours royal devant le parlement, où le souverain a insisté sur le programme d’aide sociales directes…et on sait ces deux organismes plutôt rétifs à ce genre de programme.
Les milliards vont pleuvoir, pour la reconstruction d’al Haouz, 120 milliards de DH sur 5 ans, pour la protection sociale généralisés, 51 milliards de DH par an, pour le Mondial 2030 52 milliards de DH, pour les interconnexions hydriques, 20 milliards de DH… sans compter les autres grands chantiers projetés comme l’extension de la LGV à Agadir, ou au moins Marrakech, la liaison fixe avec l’Espagne, si le chantier est effectivement lancé. Et bien d’autres choses.
Tout cela est très bien, et place le Maroc sous les projecteurs mondiaux. Pays émergent, puissance régionale, Grand d’Afrique et « garant » de la façade africaine atlantique. Le Maroc se porte bien, oui… pour l’étranger. Car, pour les Marocains, la confiance n’est pas vraiment au rendez-vous, comme en témoignent les chiffres de l’émigration, des départs définitifs ou, plus grave, des intentions de départs.
Une enquête l’Economiste Sunergia de 2018 avait conclu que 40% des Marocains souhaiteraient partir, avec près de 60% pour les jeunes de 15 à 24 ans, c’est-à-dire les fraîchement diplômés. Une autre enquête conduite auprès des professionnels...
de la santé établit que près de la moitié de ces médecins et paramédicaux souhaitent aller ailleurs, et la quasi-totalité d’entre eux expliquent cette volonté par « la qualité de vie ». Par ailleurs, selon l’Apebi (ou Fédération marocaine des Technologies de l'Information), 600 ingénieurs quittent le pays chaque année, et même le paisible et prospère Canada, ayant très opportunément compris l’opportunité, a instauré l’AVE (autorisation de voyage électronique), facilitant ou même, plus grave, inspirant l’idée du Grand Saut outre-Atlantique.
Les sondages au Maroc, pas vraiment réglementés, pullulent pourtant, de qualité et de fiabilité variable. Mais leurs résultats concordent : les Marocains, essentiellement les jeunes, ne font pas plus confiance au pays qu’ils ne se sentent en confiance avec ses responsables élus et administratifs. Si la confiance dans les institutions sécuritaires est très haute, il en va différemment pour les partis politiques, le système de santé, la justice… garants de la fameuse « qualité de vie » !
La perception de corruption est très élevée et les milliards qui vont pleuvoir sur l’économie du pays n’arrange pas les choses ; économistes, sociologues et juristes affichent leur préoccupation à ce sujet.
Plus clairement, plus douloureusement, cela signifie que plus d’un million de nos compatriotes ont quitté le pays entre 2015 et 2018, et ce sont en général des cadres formés par le Maroc !
Aujourd’hui, le Maroc est en chantier(s), il se construit et se développe, intégrant les grands défis mondiaux et multipliant les politiques sociales et sociétales, s’affirmant sur son continent et s’imposant dans le monde. Mais rien ne saurait être fait de bon ni de durable s’il continue de se vider de ses enfants.
Ainsi, si le royaume renvoie une belle image de lui à l’extérieur et y inspire confiance, attirant les investisseurs et les prospecteurs, les touristes et les congressistes, les Marocains du monde et autres, c’est en interne, auprès de sa propre population, que le travail reste à faire. Tout le paradoxe est là.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost